Constat d'urgence

Le constat est le suivant. Les salariés, les exploités et tous ceux et celles qui sont engagés dans le combat pour l’émancipation humaine – dont le socle est l’affranchissement du statut imposé au salariat dans le capitalisme – s’affrontent à un changement de période au sens le plus fort du terme. Ce changement est le résultat de la rencontre dans le temps de plusieurs processus encore peu analysés dans leur intrication. Pourtant, cette mutation affecte le combat pour l’émancipation humaine dans toutes ses dimensions. Elle crée un état de choses où, pour surmonter ce que certains nomment « la perte d’un horizon d’attente », il faut repenser et reconstruire de nouvelles perspectives, et cela dans un contexte au sein duquel l’engagement et la « créativité » de jeunes – salariés, chômeurs, étudiants, lycéens – vont constituer un élément majeur. Il y a donc des questions qui se posent de manière impérative. Comment définir le socialisme et le communisme – ou tout autre nom servant à spécifier la société qui sortirait du combat victorieux des exploités et des opprimés pour l’émancipation humaine – à la lumière des expériences et tragédies du XXe siècle ? Quel contenu donner à ce qui est très largement caractérisé aujourd’hui comme une utopie, et même une utopie dangereuse ? Dans les années de l'après 68 une gauche révolutionnaire s'est créée aussi au Luxembourg. Elle s'est disloquée dans les années 90 dans des chemins de traverse. Aujourd'hui la plupart des acquis - qu'on ne peut conserver que par l'existence d'organisations et de formations politiques adhoc - ont été honteusement dilapidés au Luxembourg par et pour la plupart, mais ce ne fut certes pas le cas au niveau international pour la gauche de la gauche, les mouvements altermondialistes et les partis anticapitalistes.

lundi 16 juillet 2012

14 thèses écosocialistes


"Changer de système, pas de planète"

14 thèses écosocialistes

Les "décideurs" de la planète – milliardaires, managers, banquiers, investisseurs, ministres, parlementaires et autres "experts" -, motivés par la rationalité bornée et myope du système, obsédés par les impératifs de croissance et d'expansion, par la lutte pour les parts de marché, par la compétitivité, les marges de profit et la rentabilité, semblent obéir au principe proclamé par Louis XV: "Après moi, le déluge." La logique capitaliste du marché et du profit, de même que celle de l'autoritarisme bureaucratique de feu le "socialisme réel", est incompatible avec les exigences de sauvegarde de l'environnement. Soumises au débat, ces thèses tentent un condensé cohérent de la problématique.
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Première prémisse de l'écosocialisme, implicite dans le choix même du terme, tout socialisme non écologique est une impasse. Corollaire: une écologie non socialiste (ou non-anticapitaliste) est incapable de prendre en compte les enjeux actuels. L'association du "rouge" –la critique marxiste du capital - et du "vert" – la critique écologique du productivisme- qu'il réalise n'a rien à voir avec les fallacieuses combines gouvernementales dites "rouges-vertes", ces coalitions entre une social-démocratie pro-capitaliste et certains partis verts inféodés qui se forment autour d'un programme social-libéral de gestion du capitalisme et de l'Etat bourgeois. L'écosocialisme est donc une proposition radicalement alternative – c'est –à-dire s'attaquant à la racine de la crise environnementale – qui se distingue aussi bien des variantes productivistes du socialisme du XXe siècle (que ce soit la social-démocratie ou le "communisme" de facture stalinienne) que des courants écologistes qui s'accommodent, d'une façon ou d'une autre, du système capitaliste. Il est une proposition radicale qui vise non seulement à une transformation des rapports de production, à une mutation de l'appareil productif et des modèles consuméristes dominants, mais aussi à créer un nouveau paradigme de civilisation, en rupture avec le fondement de la civilisation capitaliste/industrielle contemporaine.
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La crise écologique - dont le changement climatique n'est qu'un volet - pose à cette génération un défi d'une ampleur historique. En reconnaître l'ampleur permet d'imaginer comment l'enrayer. Du choix qui sera fait dépendra l'équilibre des sociétés humaines de ce siècle. Soit l'on considère le changement climatique comme un défi majeur appelant une mutation profonde, une remise en question du fonctionnement de la société, soit l'on en nie la réalité, et l'on tente de conserver l'ordre établi. La connaissance du fonctionnement du climat terrestre est-elle parfaite ? Non. Les informations dont on dispose sont-elles suffisantes pour décider ? Oui. Toutes les questions ne sont pas résolues, tous les débats ne sont pas clos, toutes les recherches ne sont pas achevées. Mais le tableau général constatant et prédisant le changement est bien posé et solidement structuré.
Tout en faisant la part des ringards, des propagandistes ou journaleux payés, corrompus, recrutés ou subjugués par les très puissants et omniprésents lobbies pétrolier et nucléaire une question demeure : pourquoi le climato-scepticisme, malgré la faiblesse de son argumentation, trouve-t-il un terrain si favorable à sa prolifération ? Parmi moult explications, une paraît décisive. Dès que l'on prend conscience de la gravité du problème écologique, une conclusion finit par s'imposer : pour empêcher le désastre, il faut drastiquement remettre en cause un système qui repose sur une croissance continue et forcée – par le profit - de la production matérielle. Changer de système et bousculer, aussi, nombre de situations acquises. Refuser d'admettre ce qu'annoncent les climatologues permet de croire que rien ne changera, que rien ne sera bousculé. C'est pourquoi derrière le climato-scepticisme se décrypte à livre ouvert l'idéologie la plus platement réactionnaire.
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A l'exception de quelques ringards de seconde zone et en-dehors des publicistes ou politiciens liés, payés ou manipulés par le puissant lobby pétrolier, plus un seul responsable politique important ne doute que le réchauffement est dû principalement à la combustion de charbon, de pétrole et de gaz naturel. Tous connaissent les dangers de la situation. Le résumé à l'intention des "décideurs" du quatrième rapport du GIEC nobélisé propose un tableau des impacts sur les ressources en eau douce, les écosystèmes, la production agricole, les zones côtières et la santé humaine. Il en ressort que le seuil de dangerosité est bien inférieur au chiffre de +2°C par rapport à l'ère pré-industrielle. En réalité, dans les îles du Pacifique, les régions arctiques, les vallées andines, les zones côtières du Bangladesh, le seuil est déjà dépassé. Les représentants des petits Etats insulaires exigent de tout mettre en œuvre pour ne pas excéder 1,5°C de hausse. Comme le mercure a déjà gagné 0,7°C depuis 1780 et qu'une augmentation de 0,6°C est inévitable (vu la quantité de gaz à effet de serre accumulée dans l'atmosphère), la conclusion coule de source : il n'y a plus une minute à perdre ! Les conditions d'existence de centaines de millions de gens dépendent d'une action rapide, coordonnée, mondiale, pour réduire radicalement et rapidement les émissions, principalement les émissions de CO2. Mais cette action ne vient pas !
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Ainsi en 2009 plus de 500 scientifiques constituant le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (le fameux GIEC nobélisé) concluaient dans son rapport devenu célèbre que " le réchauffement du système climatique – engendré par l'homme " – est " sans équivoques " tordant ainsi le cou aux derniers négationnistes sérieux qui le mettaient en doute et contestaient le rôle déterminant des " activités humaines " sur le bouleversement du climat de la planète. Les vraies responsables du désastre ne sont pas pour autant désignés.
Que signifient cependant les vagues expressions " engendré par l'homme " ou " par les  activités humaines " ? Ce flou ne peut que stigmatiser l'humanité dans son ensemble. Or qui détermine souverainement les activités productives depuis plus d'un siècle ? Qui prêche le développement marchand, la croissance, le productivisme à tout crin ? Qui détermine les priorités des besoins et les ressources à exploiter ? Quel système produit des valeurs d'échange et non d'usage ? Les catastrophes nucléaires, la crise énergétique et climatique ne sont nullement provoquées par les " activités humaines ". " Ce désastre est mis en œuvre par un système de pouvoir qui n'a plus pour fin que le maintien des privilèges des classes dirigeantes " ainsi, " crise écologique et crise sociale sont les deux facettes d'un même désastre " (Hervé Kempf, du Monde ). Pourfendre la " responsabilité des hommes " sans autre précision c'est nier les conséquences du productivisme capitaliste, refuser les lois de la (re)production du capital, et finalement prôner la continuité d'un système de profit, d'exploitation et de catastrophes.
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Les conditions à remplir pour sauver le climat équivalent à la quadrature du cercle pour le capitalisme. Incapable de résoudre la difficulté, il va tenter de la repousser par une fuite en avant technologique, couplée à une nouvelle extension de la sphère marchande. La réponse capitaliste, basée sur plus de marché, donc plus de marchandises, tend à inverser complètement la priorité: au lieu de servir à réduire la consommation énergétique tout en satisfaisant les besoins humains réels, le développement des renouvelables et les progrès de l'efficience énergétique servent à ouvrir de nouveaux créneaux à l'accumulation capitaliste, donc à la hausse de l'offre énergétique.
Sous l'angle de la question énergétique - au centre du défi climatique - le système capitaliste mondialisé se caractérise par : 1) l'appropriation quasi-totale des sources d'énergie, des convertisseurs ainsi que des vecteurs, et leur transformation en marchandises (y compris la marchandisation de la force de travail) ; 2) l'utilisation prépondérante des combustibles fossiles générateurs de rente et de gaz à effet de serre ; 3) la centralisation et la concentration du capital propriétaire des sources ainsi que des convertisseurs, débouchant sur une centralisation de plus en plus poussée du système lui-même ; 4) une efficience énergétique médiocre et un gaspillage important, dus à la recherche prioritaire du profit, mais aussi à la structure centralisée, à la séparation des sites de production d'avec les principaux marchés, aux productions inutiles, au manque de planification économique entre secteurs, à la mécanisation à outrance; 5) la mondialisation de l'approvisionnement, la protection militaire des voies d'accès aux sources énergétiques et la volonté de tutelle impérialiste sur les pays producteurs; 6) la constitution autour des sources fossiles, principalement du pétrole, d'un puissant complexe énergético-industriel regroupant l'automobile, l'aéronautique, la construction navale ainsi que la pétrochimie; 7) l'intégration croissante de l'agrobusiness à ce complexe par le biais des engrais, de la production de biomasse énergétique et de la mise en œuvre des technologies de " génie génétique " ; 8) la tendance, inhérente à la logique d'accumulation du capital, à augmenter sans cesse l'offre et la demande, ce qui se traduit dans le domaine énergétique par le recours à la technologie nucléaire, notamment.
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L'incapacité des gouvernements à prendre les mesures nécessaires pour sauver le climat est ainsi ancrée structurellement dans les lois fondamentales du capitalisme. La concurrence pousse chaque propriétaire de capitaux à remplacer les travailleurs par des machines qui, en augmentant la productivité du travail, permettent de dégager un surprofit en plus du profit moyen, et de gagner ainsi un avantage compétitif. Cette course à la rente technologique, qui s'accélère au fil du développement, accentue la tendance du système à la surproduction, et par conséquent à la surconsommation. Surproduction et surconsommation impliquent inévitablement un élargissement du volume de la production matérielle. Celui-ci à son tour nécessite des prélèvements accrus de ressources (notamment énergétiques), d'une part, et des rejets plus importants de déchets, d'autre part. La tendance à la dématérialisation, à l'efficience dans l'utilisation des ressources et à la transformation des déchets en matières premières peut freiner ce mouvement d'ensemble, pas l'empêcher. Un capitalisme stationnaire constitue une contradiction dans les termes : l'économie capitaliste ayant pour but la production de valeur, c'est à dire d'une forme générale et abstraite des valeurs d'échange, il en découle que le capitalisme, selon la formule de Marx, ne connaît d'autre limite que le capital lui-même. C'est dans ce cadre qu'il convient d'analyser le changement climatique.
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La crise environnementale et climatique porte la crise du capitalisme contemporain à un niveau de globalité sans précédent et contribue à en faire une crise systémique majeure, une crise de civilisation. Elle traduit en termes physiques la thèse formulée en termes politiques par les marxistes, il y a plus de 60 ans : les conditions objectives pour une société non-capitaliste ne sont pas seulement mûres, elles ont commencé à pourrir. La crise climatique est la manifestation la plus éclatante et la plus globale de ce pourrissement. Faute d'avoir été éliminé et remplacé par un système non productiviste, le " capitalisme du troisième âge " a amené l'humanité à franchir des pas décisifs et irréversibles vers une dégradation extrêmement sérieuse de l'environnement, qui menace d'aggraver les conditions d'existence de centaines de millions d'êtres humains. Si les mesures radicales susceptibles d'arrêter cet engrenage ne sont pas prises à très court terme, l'humanité devra affronter une série de catastrophes de grande ampleur, aux conséquences sociales et politiques incalculables.
Sur le plan environnemental, même dans l'hypothèse où des aides publiques massives aux entreprises (c'est-à-dire un nouveau transfert de richesse du travail vers le capital ) accélèreraient la diffusion des technologies propres, une relance capitaliste durable — sur le modèle des " trente glorieuses " — impliquerait inévitablement plusieurs années de consommation accrue d'énergies fossiles, donc une accélération des émissions de gaz à effet de serre plus que suffisante pour précipiter la catastrophe climatique. En d'autres termes, la lutte contre le changement climatique pose un choix de civilisation fondamental : poursuite du productivisme capitaliste aux dépens de l'environnement et de la majorité sociale, ou alternative non capitaliste ?
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L'option nucléaire, à elle seule, fait peser une menace majeure sur la survie du genre humain. La question des déchets reste sans solution, le risque de fuite radioactive est impossible à éliminer totalement, et le danger de prolifération de l'armement nucléaire — donc d'emploi effectif de cet armement — est inséparable de la technologie. Il y a lieu d'ajouter que la technologie nucléaire représente un choix techniquement irrationnel, inefficient du point de vue de la protection du climat, incohérent avec la révolution énergétique nécessaire. L'efficience énergétique d'une centrale nucléaire (30 %) est inférieure à celle d'une centrale à gaz ; le bilan carbone, médiocre à l'échelle de l'ensemble de la filière, ne peut que s'alourdir du fait de l'exploitation de gisements d'uranium de moins en moins riches ; les ressources en minerai sont limitées (les réserves connues d'uranium représentent 60 ans de consommation dans l'état actuel du parc) ; une réponse au changement climatique basée sur le nucléaire est totalement impraticable, vu le nombre de centrales qu'il faudrait construire (une par semaine environ pendant 50 ans), le temps de construction et le coût ; le tout-nucléaire est impossible, cette technologie (2,7 % de l'énergie consommée dans le monde, 17 % de l'électricité) ne pourrait jamais couvrir plus qu'une fraction limitée des besoins humains. 
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Bien que les agrocarburants ne couvrent qu'une infime fraction des besoins énergétiques dans le domaine du transport, ils ont déjà amplement démontré leurs effets pervers. Inévitablement, la logique de la production pour le profit conduit en effet à ce que la production d'éthanol et de biodiesel pour la demande solvable passe avant la satisfaction du droit fondamental à l'alimentation, avant les droits des communautés indigènes et avant la protection de l'environnement. Ici aussi, l'irrationalité technique est au rendez-vous, dans la mesure où le bilan énergétique global de la production d'agrocarburants est négatif dans la plupart des cas. Le passage aux agrocarburants de seconde génération, en soi, n'élimine pas les dangers. A supposer même que des règles suffisamment strictes interdisent d'affecter des terres de culture à la production d'éthanol cellulosique, la demande émanant des transports est telle qu'il faudrait consacrer d'énormes superficies d'autres terres — ou de zones marines — à la monoculture productiviste, avec toutes les conséquences qui en découlent en termes de pollution aux pesticides et de destruction de la biodiversité.
L'évidente et urgente critique des agrocarburants vaut, mutatis mutandis, pour les ressources pétrolières non conventionnelles : l'exploitation des huiles lourdes, des sables et des schistes bitumineux nécessite une énorme dépense d'énergie ainsi qu'un fort gaspillage d'autres ressources (eau notamment) et son impact environnemental est particulièrement lourd. De plus, dans de nombreux cas, les gisements sont situés dans des régions habitées par des communautés indigènes dont les droits sont ainsi menacés.
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Produire moins ? Le capitalisme n'en est capable que temporairement, par la crise qui sème le chômage et la misère. Dans ces conjonctures-là, oui, les émissions de gaz à effet de serre diminuent. Elles ont baissé de 3% en 2009. Mais, outre les dégâts sociaux qu'elle occasionne, la suppression d'activités opère à l'aveuglette, sur la seule base de la rentabilité, sans égard pour l'utilité sociale de la production. Il va de soi que seul des fous pourraient souhaiter plus de crises dans l'espoir qu'il y ait moins de production, donc moins d'émissions ! D'autant plus que trois milliards d'êtres humains manquent de tout, notamment de l'essentiel. Pour satisfaire leurs besoins fondamentaux – des maisons, des écoles, des soins de santé, des aliments, des transports en commun, une eau potable de qualité – il faut produire davantage. Mais cette production-là n'intéresse pas le capitalisme, car la demande est non solvable. Or, le capitalisme ne produit pas des valeurs d'usage pour les besoins mais des marchandises pour le profit. Il y a donc deux défis contradictoires : d'une part, pour stabiliser le climat au niveau le moins dangereux possible, il faut produire moins. D'autre part, pour satisfaire les besoins sociaux fondamentaux, il faut produire plus. L'économie de marché est incapable de relever chacun de ces défis séparément, les considérer ensemble tiendrait pour elle de la quadrature du cercle.
Et, dans les riches nations développées ou les pays "en voie de développement", ceux qui rament, ce sont toujours les mêmes, viande à canon d'une crise économique et désormais otages d'une crise écologique, l'une et l'autre produits d'un système qui détruit aussi naturellement et efficacement la planète qu'elle exploite son humanité.

 

 
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Le "capitalisme vert", basé sur le développement dit "durable", est la panacée prônée par certaines fractions du capitalisme international, vivement soutenue par la plupart des partis verts, définitivement passés de l'autre côté de la barrière (de classe). Cette réponse capitaliste implique des attaques redoublées contre les salariés, les paysans pauvres, les femmes, les communautés indigènes et les pauvres en général, ainsi qu'une accentuation des inégalités sociales. Quel que soit le " mix énergétique " choisi, il impliquera un renchérissement de l'énergie qui frappera doublement le monde du travail : au niveau de ses propres besoins énergétiques, d'une part, au niveau des produits de consommation d'autre part, les patrons répercutant la hausse des prix de l'énergie sur celui des marchandises. L'énergie étant une composante du capital constant, son renchérissement grèvera le taux de profit, ce qui amènera le patronat à multiplier les attaques contre les salaires, les mécanismes d'indexation, la protection sociale et, d'une manière générale, l'incitera encore plus à tenter d'augmenter le taux d'exploitation par tous les moyens possibles.
Dans les pays dominés, la politique climatique capitaliste donne une nouvelle impulsion à la séparation entre les producteurs et leurs moyens de production traditionnels — en premier lieu la terre — avec pour résultat soit l'exode rural, soit la transformation en ouvriers (plantations énergétiques, exploitations d'hydrocarbures…), soit le déplacement vers des zones moins favorables ou la reconversion dans " l'industrie touristique ". Tous ces cas de figure entraînent une dégradation de l'autonomie et des conditions d'existence du plus grand nombre — en particulier des femmes, vu leur rôle clé dans la production vivrière — ainsi que des attaques accrues contre les communautés indigènes et leurs droits.
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Le système capitaliste est certes inséparable de la croissance de la production et de la consommation matérielles, mais celle-ci constitue un effet, pas une cause. C'est la production de valeur, en tant que forme abstraite des valeurs d'échange, qui entraîne la tendance permanente à l'accumulation sans limites de la richesse à un pôle, et provoque en même temps l'accumulation ininterrompue de misère à l'autre. Une politique climatique qui ne prendrait pas en compte cette double réalité serait presque certainement vouée à l'échec. Le point crucial et le levier de l'alternative anticapitaliste restent donc fondamentalement ceux que le projet socialiste a définis : la mobilisation des exploités et des opprimés contre un système basé sur la course au (sur)profit, la propriété privée des moyens de production, la production de marchandises, la concurrence et le salariat. Mais ce point crucial et ce levier ne suffisent plus à définir l'alternative. La saturation du cycle du carbone constitue en effet la démonstration la plus évidente et la plus globale du fait que, à la différence du passé, l'émancipation des travailleurs n'est plus concevable sans prise en compte des principales contraintes naturelles : limites des stocks de ressources non renouvelables à l'échelle historique, vitesse de reconstitution des ressources renouvelables, lois de conversion de l'énergie, conditions de fonctionnement des écosystèmes et des cycles biologiques, rythmes de ceux-ci.
Dans ce contexte, la notion de " maîtrise humaine sur la nature ", pleine d'assurance positiviste, doit être abandonnée. Le seul socialisme réellement possible désormais est celui qui satisfait les besoins humains réels (c'est-à-dire débarrassés de l'aliénation marchande), démocratiquement déterminés par les intéressés eux-mêmes, en prenant soin de s'interroger prudemment sur l'impact environnemental de ces besoins et de la manière dont ils sont satisfaits.
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Au lieu de perdre son temps, ses forces et pointer dans la mauvaise direction, comme certains "alternatifs de gauche", en propageant une politique institutionnelle réformiste - dont les conférences mondiales, de Kyoto (1997), Copenhague (2009) à Rio (2012) ont démontré la criminelle inanité -, il faut organiser les gens, dans les villes et les campagnes, les entreprises et les écoles, et dans les rues, pour construire un large mouvement international de lutte contre le système, pour imposer des changements radicaux, et pour sauver de la destruction, non " la planète " – elle n'est pas en danger – mais la vie sur cette planète. N'attendons pas des capitalistes qu'ils résolvent un problème qu'ils ont eux-mêmes créé : l'alternative énergétique et écologique est indissociable d'un projet anticapitaliste et antiproductiviste, d'un projet écosocialiste. Un projet non pas fondé sur la croyance dans les institutions de la bourgeoisie et du capital, mais sur une stratégie de rupture et de transformation socio-économique et écologique, d'incursion radicale dans les rapports de propriété, d'émancipation des salarié(e)s et des peuples par eux-mêmes.
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Comment en sortir ? A moins d'accepter les technologies des apprentis sorciers (et encore), il n'y a pas d'issue possible sans incursions dans la propriété privée capitaliste. Pour stabiliser le climat tout en satisfaisant les besoins fondamentaux, il faut supprimer les productions inutiles ou nuisibles (armes, publicité, etc.), reconvertir les travailleurs, réduire le temps de travail sans perte de salaire (avec baisse des cadences et embauche compensatoire), étendre radicalement le secteur public dans les secteurs du logement et des transports. La hausse de l'efficience énergétique et le passage aux renouvelables doivent être planifiés et réalisés indépendamment des coûts, et la plus grande partie de la production agricole doit être relocalisée via un soutien à l'agriculture paysanne. L'énergie et le crédit doivent être placés sous statut public, et un fonds mondial d'adaptation doit être créé à partir de ponctions sur les bénéfices de monopoles. Quant à la recherche, elle doit être refinancée et libérée de la tutelle de l'industrie. Toutes ces mesures devraient être prises sous le contrôle du monde du travail, dont la participation active est une condition de succès.
C'est plus facile à dire qu'à faire, diront certains. Certes, cela implique une lutte à contre-courant contre un ennemi très puissant. Mais il n'y a pas d'autre issue possible. La première chose à faire, c'est de le dire. Il faut que les cadres des mouvements sociaux, notamment syndicaux, comprennent que la lutte pour le climat est beaucoup plus qu'une lubie environnementale : un choix vital qui passe par une lutte à la fois écologique et sociale –une lutte écosocialiste- contre le capitalisme
Robert Mertzig

 
Références:
En incluant les données scientifiques non contaminées par des intérêts partisans ou rémunérés, ces thèses ont été abondamment nourries par – notamment - les auteurs ou chercheurs suivants (par ordre alphabétique): Daniel Bensaïd (éminent théoricien marxiste), John Bellamy Foster (professeur de sociologie et d'économie à l'Université de l'Oregon – Usa), Claudio Katz (économiste argentin), Hervé Kempf (journaliste au Monde, spécialiste des questions environnementales), Joel Kovel (rédacteur en chef de la principale revue écologique de gauche des USA. Capitalism, Nature and Socialism),
Michael Löwy (directeur de recherche émérite au CNRS – France), Arno Münster (historien de la philosophie contemporaine, Université de Picardie-Amiens), Daniel Tanuro (ingénieur agronome et environnementaliste, cofondateur de "climat & justice sociale")


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